23 décembre

 

"Les contes ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour éveiller les adultes"

U, comme Ukraine
LE SOLEIL, LA LUNE ET LE VENT

   Un jour, le Soleil, la Lune et le Vent s'en allèrent vagabonder par le monde. Partout où passait le Soleil, les bourgeons s'épanouissaient. La Lune, sur son sillage, faisait miroiter les flots d'argent. Là où soufflait le Vent, les blés ondulaient et les forêts bruissaient.
Le Soleil, tout resplendissant dans ses habits d'or, clamait à tout venant :
- Qui peut rivaliser avec moi ? Je fais fondre les neiges de ma main brûlante, je fais chanter, danser, éclater la joie ici-bas ! Sans moi, la terre ne porterait ni graines ni semences. Je suis le père de tout ce qui vit dans l'univers.
- Regardez-moi ce fanfaron ! dit la Lune. Il n'y a pas de quoi te vanter devant moi. Dès que je parais, les rossignols se mettent à chanter et les hommes à rêver. Quand je brille au firmament, ils oublient leurs tourments !
Le Vent, qui jusque-là était resté muet, agacé par leur bavardage, se mit à souffler avec rage :
- L'un et l'autre, vous vous pavanez inutilement dans le ciel. Vous n'êtes bons à rien ! Toi, Soleil, tu roules tout le jour, sans but ni raison, d'un bout à l'autre de l'horizon. Tu brûles sans merci la peau du travailleur, tandis que tu cajoles le paresseux. Et toi, Lune, tu agites ta lanterne là-haut, quant tout le monde dort. À quoi peux-tu servir, alors ? C'est moi, le Vent, qui œuvre le plus utilement. Quand tu brilles avec trop d'ardeur, Soleil, je rafraîchis le front du laboureur et l'étanche sa sueur. Je pousse la barque du pêcheur, fais tourner les ailes des moulins. Je dispense partout des bienfaits dont l'homme ne saurait se passer.
   Le Soleil d'or, la Lune d'argent et le Vent grondeur se disputèrent ainsi longtemps. Chacun d'eux voulait avoir raison et restait sur ses positions. Alors, ils décidèrent à l'unisson de s'adresser à un mortel pour trancher la question. Justement, ils aperçurent un paysan qui cheminait à travers champs. Ils l'interpellèrent en chœur :
- Dis-nous, l'ami, lequel de nous trois t'est le plus utile ? De qui peux-tu te passer le moins ? Qui te paraît le plus respectable ? Si, par bonheur, nous étions à ta table, à qui donnerais-tu la place d'honneur ?
L'homme les écouta avec stupeur. Il se gratta l'oreille et regarda timidement le Soleil. Celui-ci avait l'air franc comme de l'or et rayonnait de bonté. Puis il regarda la Lune. Elle était pareille à une petite vieille au visage ridé et sans méchanceté. Puis il se tourna vers le Vent et fut effrayé par son regard courroucé.
Il se mit à bredouiller :
- Le Soleil, on peut s'en passer, il fait clair dans la journée, même s'il reste caché. Il fait sombre la nuit même quand la Lune luit. C'est pourquoi celui de vous trois dont j'ai le plus besoin, c'est le Vent. Il m'aide à gagner mon pain en semant le grain... C'est un rude travailleur ! C'est lui que je mettrais à la place d'honneur.
- Ah ! c'est ainsi, dit le Soleil avec dépit. Eh bien, je te ferai mourir de faim !
- Attends un peu, misérable ! s'écria la Lune ; j'ai aussi mon mot à dire là-haut !
 Le Vent, flatté, se mit à danser et à chanter :

Je suis le Vent joyeux, impétueux,
Je commande dans les cieux.
Quand je souffle avec rage, 
J'efface le Soleil, d'un nuage !

- Ne t'afflige pas, dit-il à l'homme, je viendrai vers toi quand tu seras dans l'embarras ! et il s'enfuit à grand fracas.
L'été arriva. Le paysan alla faucher son pré. Le Soleil dardait tout ce qu'il pouvait. L'échine brûlée par les ardents rayons, le malheureux s'épongeait le front, tout en invoquant son ami, le Vent. Aussitôt, son bienfaiteur souffla avec rage et menaça l'astre brillant des pires châtiments.
 Sentant la fraîcheur lui rendre sa vigueur, le manant se remit à l'ouvrage. Mais le Soleil ne cédait pas pour autant. Alors, furieux, le Vent rassembla les nuages de tous les coins de l'horizon et mit le Soleil en prison. L'homme finit de faucher son pré. Le soir, il voulut inviter son ami chez lui. À la tombée de la nuit, la Lune se leva dans le ciel et répandit un froid mortel. Au plein cœur de l'été, il se mit à geler. Le lendemain matin, le paysan atterré vit dans son champ ses petits pois et ses blés saccagés par les giboulées.
- J'ai beau faire d'appeler le Vent ! se lamentait le paysan.
À ces mots, le Soleil se leva triomphant, ayant dispersé les nuées qui le tenaient prisonnier. Tout l'été, il lutta contre le Vent. Celui-ci s'époumona tant qu'il put, mais le Soleil eut le dessus. Lorsque l'automne arriva, l'homme ne trouva à moissonner que des épis vides sur des tiges brûlées. Il comprit qu'il s'était trompé et leva les bras au ciel, pour implorer la Lune et le Soleil...
- C'est bien le temps de pleurnicher ! Tu récoltes ce que tu as semé ! Mais dis-nous, imprudent, pourquoi nous as-tu préféré le Vent ?
- Quand vous m'avez demandé lequel, de vous trois, m'était le plus utile ici-bas, j'ai voulu mettre de mon côté le plus méchant et j'ai choisi le Vent. Toi, Soleil, tu nous aimes comme un père, tu ne saurais rester fâché bien longtemps contre un de tes enfants ! Et toi, Lune, tu veilles sur nous comme une mère ! Regarde-moi sans colère. Soyez tous deux cléments pour votre fils repentant !
   Ce discours eut le bonheur de plaire aux astres indulgents. Ils lui accordèrent leur pardon et favorisèrent, comme avant, ses moissons. C'est pourquoi, encore aujourd'hui, l'homme accueille avec amour le Soleil, le jour, et la Lune, la nuit.

Extrait de "Contes du Samovar" -1972- SPIRALE

 

 

 

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