11 décembre
"Les contes ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour éveiller les adultes"
P, comme Provence
LE GROS POISSON
Un habitant des Martigues venait tous les jours à Marseille pour les affaires qu'il avait ; et tous les soirs, quand il était de retour aux Martigues, ses voisins venaient :
- Eh bien ! Genèsi, qu'y a-t-il de neuf à Marseille ?
Et le bon Genèsi racontait, de fil en aiguille, tout ce qui était arrivé de neuf dans la capitale du Midi.
Un jour surtout, le bon Genèsi n'ayant rien à dire de neuf à ses finauds compatriotes, et s'attendant cependant, comme toujours, à la question ordinaire, se dit en lui-même : " Oh ! pour cette fois, il faut que je leur en fasse une, à ces farceurs, une, ma foi de Dieu, qui éclate." Voilà qui va bien.
Il arrive sur le tard aux Martigues et du plus loin qu'ils le voient :
- Eh bien ! Génèsi, qu'y a-t-il de neuf à Marseille ? lui crient les Martegaux.
- Ah ! mes pauvres, fait Genèsi, je vous en vais dire une aujourd'hui qui peut compter pour deux. Ah! mes bons, vé, si je ne l'avais vu, l'ase me quille, si je l'aurais cru.
Et tout d'un temps, comme si le trompetteur avait passé par la ville, tous, femmes et hommes , enfants et vieillards, viennent autour de lui et le conteur entame le plan qu'il avait tiré :
- Vous saurez, dit-il, Martegaux, que ce matin est arrivé en rade de Marseille, un poisson, mais un poisson si gros, si gaillard et si long, que sa tête est amarrée dans le port et la queue va toucher le château d'If. Oh ! croyez-le ou ne le croyez pas, ce poisson prodigieux s'est embarrassé la tête entre le fort Saint-Jean et le fort Saint-Nicolas et tout Marseille est monté en haut de Notre-Dame-de-la-Garde pour voir comment les pêcheurs feront pour le retirer de là.
Les Martegaux, pécaïre ! avalèrent ça comme miel et, ni que vaut ni que coûte [= sans se demander ce que vaut le récit] : " Allons ! zou ! partons !"
Et sans songer qu'il allait être nuit, femme, homme, fille, vieux, enfant, tout part pou Marseille comme s'ils allaient à la noce.
Genèsi, lui, le fin tireur de bourdes, était sur une hauteur pour les voir passer, et se crevait de rire... Pas moins, en voyant que tout le monde partait (sauf les malades) :
- Oh ! tron de nom d'un laire ! se dit-il, tout ébaubi, voilà tous les Martegaux qui filent ; faut que ce soit vrai.
Là-dessus, il noue les cordons de ses souliers et se met à courir de toutes ses forces pour rattraper les autres, et marche avec eux pour Marseille.
Tiré de Armana prouvençau (1856) Extrait de "Contes Populaires et Légendes de Provence" -1994-France Loisirs
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